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    L'Affiche Rouge

     

     

    Vous n'avez réclamé ni gloire ni les larmes
    Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
    Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
    Vous vous étiez servis simplement de vos armes
    La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

    Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
    Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
    L'affiche qui semblait une tache de sang
    Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
    Y cherchait un effet de peur sur les passants

    Nul ne semblait vous voir Français de préférence
    Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
    Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
    Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

    Et les mornes matins en étaient différents
    Tout avait la couleur uniforme du givre
    A la fin février pour vos derniers moments
    Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
    Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
    Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

    Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
    Adieu la vie adieu la lumière et le vent
    Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
    Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
    Quand tout sera fini plus tard en Erivan

    Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
    Que la nature est belle et que le coeur me fend
    La justice viendra sur nos pas triomphants
    Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
    Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

    Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
    Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
    Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
    Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
    Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant

     

     

    Louis Aragon

     

     

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    Un p'tit peu d'histoire :

     

    Ces Affiches Rouges ont été mises aux murs un matin de Paris par les Nazis qui occupaient la France. Officiellement, 23 Terroristes avaient été condamnés. Terroristes qui étaient en fait Résistants. En effet ils étaient d'origines étrangères mais ils ont quand même voulus sauver Paris donc en gratitude la nuit après le couvre-feu des Parisiens ont marqué sous les Affiches "Mort pour la France".

     

    Aragon leur fait ici Hommage et cite des parties d'une lettre de Manouchain (chef de cette "bande" de 23 Résistants) destiné à sa propre femme.

     

     

    Lettre de Manouchain :


    "Fresnes, le 21 février 1944.

    "Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée, 

    Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie, je n'y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.


    Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps. 

    Je m'étais engagé dans l'Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendue heureuse, j'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à la sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération.

    Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui Valent d'être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 22 camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai tait de mai à personne et si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine. Aujourd'hui, il y a du soleil. C'est en regardant le soleil et la belle nature que j'ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m'Ont fait du mal ou qui ont voulu me taire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont- vendus. Je t'embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.


    Manouchian Michel. 

    P.S. J'ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M"

     

     

    Affiche Rouge

     

     

     
     

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